A propos de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 14 septembre 2010, Tribune publiée dans le quotidien Le Monde le 20 janvier 2011
Il y a quatre ans, le 19 janvier 2007, le journaliste turco-arménien Hrant Dink était assassiné à Istanbul, aux pieds de l’immeuble abritant la revue Agos (le sillon) dont il fut le fondateur.
Homme de paix et de dialogue, Hrant Dink était un combattant de la liberté : celle de penser, de lire et d’écrire sur l’histoire commune des peuples turc et arménien, tragiquement interrompue par le génocide de 1915.
Il incarnait un espoir pour des milliers de Turcs et d’Arméniens désireux d’appréhender leur avenir ensemble, dans le souci de la vérité et le respect de l’autre.
En ouvrant la voie d’un dialogue et d’un avenir possible entre ces peuples, en défendant ses valeurs jusqu’au sacrifice de sa vie, Hrant Dink est devenu une conscience universelle qui appartient à l’humanité.
L’émotion internationale provoquée par cette brutale disparition et la douleur exprimée par les milliers de citoyens turcs venus assister à ses funérailles nourrissaient l’espoir que Dink mort, ses idées lui survivraient.
Le déroulement du procès de ses assassins et complices présumés, ouvert depuis juillet 2007 n’est pourtant pas de nature à entretenir cet espoir et répondre à l’exigence de justice, qui dépasse le cercle de sa famille et de ses amis pour s’étendre à la société civile turque et à l’opinion internationale.
Qui sont les commanditaires de cet assassinat ? Pourquoi les autorités informées de sa préparation ne l’ont pas empêché et n’ont pas cherché à protéger Hrant Dink ? Existe-t-il des complicités au sein de l’appareil d’Etat ?
Dans un arrêt rendu le 14 septembre 2010 condamnant la Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme présidée par Madame Françoise Tulkens, la juge belge, a sérieusement remis en cause la crédibilité des poursuites engagées à ce jour, soulignant notamment le fait « qu’aucune des trois autorités [police et gendarmerie de Trabzon et police d’Istanbul] informées de la planification de l’assassinat et de son exécution imminente n’a réagi afin de l’empêcher. »
De l’ineffectivité des enquêtes pénales, la Cour Européenne relève l’inertie des officiers de gendarmerie et la contrainte imposée aux sous-officiers de faire de fausses déclarations et dénonce « un manquement manifeste au devoir de prendre des mesures en vue de recueillir des preuves concernant les faits en cause » et « une action concertée pour nuire à la capacité de l’enquête d’établir la responsabilité des personnes concernées. »
S’agissant des manquements imputés à la police de Trabzon, la Cour s’étonne que « globalement, l’enquête du parquet se résumait plutôt à une défense des policiers, sans apporter d’éléments sur la question de leur inactivité face aux auteurs présumés de l’assassinat. »
Quant aux manquements imputés à la police d’Istanbul, la Cour constate « qu’aucune poursuite pénale n’a non plus été déclenchée, en dépit des conclusions des inspecteurs du Ministère de l’Intérieur, selon lesquelles les responsables de la police n’avaient pas pris les mesures exigées par la situation. »
Ce serait l’honneur des magistrats de la 14ème chambre de la Cour d’assises d’Istanbul et de la Turquie de tirer les enseignements de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme et de prendre les mesures nécessaires afin que Justice soit rendue à Hrant Dink.
Signataires :
15 premiers signataires :
Jean Castelain, avocat, Bâtonnier de Paris
Jean-Yves Leborgne, avocat, vice-Bâtonnier de Paris
Christian Charrière Bournazel, avocat, ancien Bâtonnier de Paris
Bernard-Henri Levy, philosophe
Michel Onfray, philosophe
Alain Fienkelkraut, philosophe
Léon Lef Forster, avocat
Robert Guediguian, réalisateur
Christiane Féral-Schuhl, avocate, Dauphine de l’Ordre de Paris
Mario Stasi, avocat, ancien Bâtonnier de Paris
Ariane Ascaride, comédienne
Serge Avedikian, cinéaste, comédien
Vincent Nioré, avocat
Valérie Toranian, journaliste
Alexandre Couyoumdjian, avocat